Les « souvenirs retrouvés » de Kiki, Reine de Montparnasse

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Les « souvenirs retrouvés » de Kiki, Reine de Montparnasse

Fin 2020, je vous emmenais visiter l’exposition « Man Ray et la mode » et vous racontais la vie du célèbre photographe surréaliste. Parmi ses plus célèbres clichés, « Le Violon d’Ingres », où il pare son modèle d’une paire d’ouïes… Aujourd’hui je vous propose de partir à la rencontre de la femme-violon en question, muse et compagne de Man Ray, Kiki de Montparnasse, dont j’ai dévoré l’autobiographie, «  Souvenirs retrouvés ».

Kiki : une Reine des années folles

Quelle vie extraordinaire que celle d’Alice Prin, connue dans le monde entier sous le pseudonyme de Kiki ! Le début de son histoire est loin d’être féerique et son parcours, bien que marqué par sa proximité de l’avant-garde artistique de son temps, est semé d’embûches. Une vie intense… Tous les ingrédients d’un destin hors du commun ! Kiki voit le jour en octobre 1901, en Bourgogne. « Déjà la tête dans le ruisseau », puisque sa mère commence à accoucher assise sur un trottoir. Sa famille est pauvre, l’amant de sa mère est riche mais sera forcé à faire un mariage de raison et ne la reconnaîtra pas. Elle vit une enfance misérable, élevée par une grand-mère qui l’a recueillie avec plusieurs de ses cousins et cousines. Une enfance marquée par la faim, la promiscuité, le manque d’hygiène et surtout, un sentiment d’abandon, alors que sa mère l’a laissée en province pour refaire sa vie à la capitale. Montée à Paris à 12 ans, elle est lino-typo, fait des livraisons, des reliures, avant de devenir bonne, de faire des ménages, de devenir visseuse dans l’aviation… Elle souffre toujours de la faim, du froid, de la saleté, bientôt de la concupiscence de certains hommes qui lui promettent de l’argent en échange de diverses faveur…

“Je pose”, dessin de Kiki, 1929

Adolescente, Kiki vit toujours dans la misère et avec une constante peur du jour suivant : « … à deux pas il y a la rue la neige… et le lendemain… toujours ce lendemain ! ». Ses premières expériences comme modèle et des rencontres fortuites de cette vie de bohème lui font côtoyer et peu à peu intégrer la sphère artistique de l’époque. Au fil des années, elle devient muse, dessine, peint, écrit, chante, danse, joue pour le cinéma… Elle s’impose comme une figure de Montparnasse et de ses nuits. En 1929, c’est l’apothéose : à 28 ans, elle est élue « Reine de Montparnasse ».

Kiki, 1930, Photographie de Paul Balassa

La décennie suivante ne l’épargnera pas. A 33 ans, elle a « un cafard terrible ». Elle voit son amant Henri Broca sombrer dans la folie, sa mère emportée par la solitude et la maladie, elle boit, puis se drogue… Elle parviendra à en sortir avec l‘aide de son amant, André Laroque. En 1939, alors qu’elle termine ses mémoires, elle est apaisée : « Et maintenant je suis heureuse, gaie, je retrouve mes forces. Je vis, je respire je crois en l’avenir. J’ai un amant qui m’aime, que j’aime, nous serons heureux. Tout va bien. » Kiki s’éteint en 1953.

Kiki et son homme, photographie de Frank Lamy

Une autobiographie au destin tumultueux

Kiki a rédigé deux versions de ses mémoires. La première date de 1929. Ce sont ses amis Man Ray, Henri Broca et le mari d’Elena Rubinstein, Edward W. Titus qui la convainquent de publier le récit de sa vie en français et en anglais. L’ouvrage remporte un franc succès. Hemingway en rédige la préface et l’adore. « Si vous voulez des livres composés par des ladies, voici un livre écrit par une femme qui n’a jamais à aucun moment été une lady ; pendant dix ans, elle a été, dans la mesure où notre époque le permet, ce que l’on appelle une Reine, c’est très différent, bien sûr, que d’être une Lady. », résume-t-il. La censure américaine interdit le livre, ce qui contribuera bien sûr à sa légende.

L’édition française des “Souvenirs” de 1929

Neuf ans plus tard, Kiki publie son second texte. Elle a traversé maintes épreuves, dont sa cure de désintoxication. Elle s’est repenchée sur sa vie, avec l’aide d’Andrè Laroque. Le texte est agrémenté de dessins et de photographies. D’une version à l’autre, pas une phrase identique, mais on retrouve les dates, les lieux, les protagonistes et événements. Après la mort de Kiki, André essaie, sans succès, de faire éditer le texte. Pendant un demi-siècle, le manuscrit et ses illustrations disparaissent. Il refera surface tout aussi mystérieusement à Paris, noyé parmi les cartons, mais agrémenté d’une étiquette : « infiniment précieux ». Une destinée rocambolesque, à l’image de celle de son auteur !

Une plongée tout en gouaille et anecdotes dans le Montparnasse des années folles

Les souvenirs de Kiki sont un récit à multiples facettes. C’est lhistoire un peu enchantée d’une petite fille partie de rien, devenue muse-régnante d’un tourbillon artistique. C’est aussi l’histoire d’une femme qui se construit, qui évoque ses ressentis et son désir, simplement. C’est enfin une véritable immersion dans le Montparnasse des années 1920 et 1930. Au fil des pages, on croise, un peu éberlué, Utrillo, Modigliani, Kisling Foujita Man Ray, Desnos, puis Hiler, Tzara, Cocteau, Picasso, Picabia, Rigault, Aragon… Surréalistes, cubistes, dadaïstes… De « bons copains », dont Kiki partage un quotidien suspendu à des ressources fluctuantes, les rigolades, les potins, les querelles, les soirées d’anthologie dans les cafés et cabarets de Montparnasse… On entre à la Coupole, à la Rotonde, au Jockey, au Petit Vavin, à l’Océanie… Le tout sur un ton léger, dans un style dynamique, tout en points d’exclamations et sans fard. Comme si Kiki était à côté de nous et nous contait ses aventures, à haute voix…

Pour donner mon impression en bref : en lisant les souvenirs de Kiki, je me suis sentie un peu comme Gil Pender, le héros de Woody Allen dans Minuit à Paris, qui se retrouve propulsé dans le Paris des années 1920, quand minuit sonne. Si le Paris et l’effervescence artistique des décennies 1920-1930 vous fascinent, je ne saurais donc que trop vous conseiller cet ouvrage, mi-recueil d’aventures et mi-machine à remonter le temps !

Thérèse Treize, Foujita, Kiki, Robert Desnos à la Rotonde en 1950 (DR)

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Sources :

Souvenirs retrouvés, Kiki, éditions José Corti, 2005

https://vivreparis.fr/portrait-de-femme-qui-a-marque-paris-kiki-de-montparnasse/

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