« Swingjugend » : la Jeunesse Swing allemande contre le nazisme

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En ces temps troublés où la guerre se joue à nos portes et alors que nous célébrions la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, en ce 8 mai, je tenais à vous parler de la « Swingjugend » ou « Jeunesse Swing », groupes de jeunes amateurs de Jazz apparus dans l’Allemagne des années 1930 et qui se sont opposés au régime nazi…

Portrait de Sylvia von Harden, Otto Dix

Déferlante Jazz en Occident : l’Allemagne n’est pas en reste

L’Allemagne sort affaiblie et humiliée de la Grande Guerre : à l’issue du Traité de Versailles de 1919, sa puissance économique et sa force militaire sont réduites, son territoire l’est aussi. Commence la République de Weimar, un régime certes bousculé par la crise économique et autres tensions politiques, mais plutôt stable, dans sa globalité. Cette période est marquée par un fort dynamisme intellectuel. Dadaïsme, cabaret, musique sérielle*… la modernité artistique s’empare du pays. Berlin est l’épicentre de ce bouillonnement culturel, la vie nocturne y est trépidante.

Fans de Swing de Hambourg, 1940

En Allemagne comme ailleurs, le Jazz rythme la décennie 1920-1930. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, beaucoup de musiciens Américains et notamment Noirs Américains, s’y produisent. La scène Jazz locale émerge : citons par exemple le Eric Concerto’s Yankee Jazz Band et le Rus Weintraub’s Syncopators & Comedian Harmonists. Au milieu des années 1930, on voit également apparaître des groupes de jeunes allemands afficionados du Swing, à Hambourg, Berlin, Francfort sur le Main, à l’instar de ceux que l’on croise dans les grandes villes européennes – en France (les Zazous), en Grande-Bretagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suède, au Danemark, en Autriche… Cette « Jeunesse Swing » devient un problème politique avec l’arrivée des nazis au pouvoir et l’entrée en guerre de l’Allemagne.

« Swingjugend » : qui compose la Jeunesse Swing allemande ?

La « Swingjugend » est plutôt issue de la bourgeoisie et de la classe supérieure. Ses membres sont souvent très jeunes, ils ont entre 14 et 18 ans. Ils sont anglophiles est affichent cet intérêt dans leur façon de parler, dans leur style vestimentaire, en se rebaptisant avec des prénoms anglo-saxons… Ils créent des hots clubs, où ils se retrouvent pour écouter des enregistrements Américains, danser, boire de l’alcool. Ni politisés, ni organisés, ces groupes rassemblent des passionnés, en quête de plaisir et de liberté. Tout change avec l’arrivée du NSDAP et l’accession d’Hitler au pouvoir.

Pour les nazis, la musique est l’art allemand par excellence. La composition, la fabrication des instruments, les métiers du champ musical sont régis par la Reichmusikkammer, « Chambre de la musique du Reich », mise en place par le ministre de la propagande Joseph Goebbels. Considéré comme une invasion Américaine et Noire, décadent, immoral, le Swing est bien entendu classé dans l’« Entartete Kunst » (« art dégénéré »), aux côtés de toutes les œuvres réalisées ou produites par des Juifs et de l’art moderne. Il est aussi associé aux Juifs, avec la figure de Berhard Sekles, directeur du Conservatoire de Francfort, premier à avoir ouvert une classe de Jazz, en 1928. L’importation de disques anglo-saxons est rapidement interdite, ainsi que la diffusion de Jazz à la radio (en 1935).

Dans ce contexte, écouter du Jazz et pratiquer les danses Swing devient un geste contestataire. Les autorités qualifient les jeunes amoureux de Jazz de « Swing Heinis » (« nigauds du Swing »), « Schlurf » (« fainéantes ») en Autriche, « lottern » (« oisifs »)… mais c’est la désignation « Swingjugend » qu’ils reprennent à leur compte. Cette jeunesse rejette le Fűhrer, le militantisme, les discriminations, refuse de rejoindre les rangs des jeunesses hitlériennes et l’armée. Le salut nazi « Heil Hitler ! » est remplacé par « Heil Hotler ! », « Sieg Heil » par « Swing Heil ». La défiance peut aller de ces moqueries à des affrontements plus violents. Parmi les groupes qui forme la Swingjugend, les Edelweiss Pirats, dans la Ruhr, réécrivent des chansons Jazz en y injectant des paroles provocantes. A Francfort, les adolescents du Hot Club jouent du Jazz et se battent contre les jeunesses hitlériennes.

Jeunes fans de Swing allemands.

Réprimés…

Le chef de la police, Himmler, porte son attention sur la Swingjugend dès 1940, la plaçant sous surveillance et demandant des rapports. Preuve que la résistance de ces mélomanes n’est pas prise) la légère. Le début de la Seconde Guerre mondiale marque un tournant : le ton se durcit et une sévère répression commence. En août 1941, 300 jeunes sont arrêtés. Ils sont placés sous surveillance ou envoyés en rééducation ; les leaders sont, eux, envoyés en camps. On encourage les rescapés des arrestations de masse à rejoindre les jeunesses hitlériennes, incitations auxquelles répondent des distributions de propagande anti-nazis.

Hambourg est considérée comme le fief de la Swingjugend et subi donc le feu répressif de la Gestapo et autres organes du gouvernement. En 1942, Himmler exige dans une lettre que « le mal soit complétement exterminé ». Ainsi, beaucoup de jeunes filles et de jeunes garçons sont arrêtés, interrogés, torturés, emprisonnés. On dénombre beaucoup de suicides. Les mineurs sont souvent envoyés dans des camps de rééducation pour jeunes – Moringen pour les garçons, Uckermark pour les filles. Le traitement des filles est un peu différent de celui des garçons : à Uckermark, elles sont séparées, tandis que les jeunes hommes, à Moringen sont rassemblés. Aussi dangereux que cela s’avère, ces jeunes internés chantent leurs airs favoris, forment parfois des jazz bands de fortune, écoutent clandestinement du Jazz… pour se donner du courage, se soutenir, préserver leur identité, survivre intellectuellement. Après mars 1942, les adultes et les juifs sont envoyés vers les autres camps.

Le Trocadero, à Hambourg, lieu où les Swingjugend se rencontraient. Détruit par les bombardements en 1943.

… mais pas vaincus !

Même si les nazis ont déployé leur arsenal d’interdiction et de répression contre le Swing et ses fans, ils ne sont pas parvenus à les museler totalement. Ils n’ont d’abord jamais défini une politique claire pour contrer le Jazz. Le succès qu’il remporte le rend impossible à bannir ; d’où, même, des tentatives d’adaptations, pour produire un Jazz compatible avec les valeurs du régime. La « Neue Deutsche Tanzmusik » (« Nouvelle musique dansante allemande ») est un mix dansant de Jazz et d’airs de danses de salon – sans improvisation, ni saxophone, cependant, ces éléments étant hors de la sphère de l’acceptable !

Autre exemple qui illustre l’impossibilité de contrôler la diffusion du Jazz dans l’Allemagne du IIIème Reich : les artistes trouvent des parades et profitent de l’ignorance des agents en charge des contrôles. On se met à jouer de la Neue Deutsche Tanzmusik quand ils paraissent, on traduit les paroles de l’anglais vers l’allemand…

Enfin, notons que les condamnations infligées aux membres de la Swingjugend n’ont jamais tenu sur des motifs uniquement musicaux : elles ont toujours été étayées par des motifs plus « sérieux », pour preuves d’hostilité au régime.

Pour en savoir plus sur la Swingjugend, vous pouvez visionner le film « Swing Kids » de 1993, qui raconte l’histoire de trois amis allemands fous de Jazz pris dans la tourmente nazie. Vous pouvez également lire le livre jeunesse « Swing à Berlin » de Christophe Lambert, qui raconte l’histoire d’un pianiste de jazz missionné par Goebbels pour monter un jazz bande valorisant les thèses aryennes. Et pour revenir dans le terreau « divinement décadent » de la République de Weimar, on regarde bien sûr la comédie musicale « Cabaret » et on se plonge dans les nouvelles qui l’ont inspirée : « Goodbye to Berlin », de Christopher Isherwood.

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* musique sérielle = le terme apparaît dans les descriptions des œuvres de Schönberg, Berg et Webern ; les éléments sont mis en série ; ils sont en principe égaux et régis selon l’ordre dans lequel ils apparaissent et se succèdent.

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Sources :

https://www.linflux.com/musique/quand-les-nazis-faisaient-la-guerre-au-jazz/

https://holocaustmusic.ort.org/fr/politics-and-propaganda/third-reich/swing-kids-behind-barbed-wire/?fbclid=IwAR3ICeOSqnC0BynwlwHxl_frInuQFYb–d2LX6y-lGXvo1M61phckTzXRzw

https://daily.jstor.org/germanys-real-life-swing-kids/https://www.nationalww2museum.org/war/articles/swing-youth-jazz-nazi-germany

http://blog.ac-versailles.fr/epiberlin2018/index.php/post/31/05/2018/Les-Swing-kids-ou-Swingjugend

https://www.ndr.de/geschichte/chronologie/NS-Regime-geht-ab-1941-gegen-Hamburger-Swing-Jugend-vor,swingjugend100.html

https://www.welt.de/regionales/hamburg/article106609250/Swing-Jugend-Sie-wollten-doch-nur-tanzen.html#cs-bs10-24-DW-Kultur-jpg.jpg

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